La sexualité des personnes handicapées se résout trop souvent dans l’urgence, soit parce que la question n’était pas envisageable –plongeant la plupart dans le malaise ou le questionnement- et que donc elle prend au dépourvu, soit qu’il est déjà « trop tard » et que du fait d’abus ou de grossesse, il faut s’en remettre aux spécialistes… Or, de spécialistes, il n’y en a que trop peu. C’est pourquoi je salue ici l’initiative du Colloque et moi et moi émoi qui réfléchissent à un processus à mettre en place, avec l’ensemble des partenaires intéressés, autour d’une stratégie sur le long terme.
Restons attentifs à ne pas confondre sexualité et génitalité, encore moins avec pénétration ; il n’y a pas une sexualité mais autant de sexualités qu’il y a de rythmes et d’expressions personnels de celle-ci. Il s’agit de se donner du plaisir, d’en donner, de donner et de recevoir du bonheur et à ce niveau-là, l’éducation sexuelle, la déséducation souvent (eu égard à la masse d’informations néfastes reçues tous les jours) est plus qu’indispensable. Il s’agit de désir et d’expression de ce désir. Nous vivons dans des sociétés qui fonctionnent sur la performance, l’utilité et son pendant le jetable ou l’inutile, d’une part, sur la représentation de la PH comme devant être protégée… y compris vis-à-vis d’elle-même et de ses désirs lorsqu’ils sont sexuels.
La sexualité en général et celle des personnes handicapées en particulier, suppose une prise de risque personnelle et une implication forcée au niveau émotionnel de la part des tiers. C’est remuant, cela peut être dérangeant, il faut oser le risque et veiller à ne pas parasiter la rencontre par des schémas trop rigides, des a priori ou des défenses personnelles mises en place pour ne pas à se trouver ébranler soi-même. Et puisqu’il s’agit de désir, ceux qu’on appelle les « professionnels » doivent être capables d’entendre ce désir, pas d’y donner réponse forcément, mais de l’entendre car trop souvent des thèmes sont mis sous le boisseau par peur irrationnelle et personnelle, ainsi la question de la parentalité ou celui de la contraception de la PH. Quoi qu’on fasse, lorsque l’on parle de sexualité, ici de sexualité des PH, c’est aussi d’abord et avant tout de la nôtre que l’on parle.
La PH souffre souvent d’un déficit narcissique, d’amour et de confiance en soi, d’un déficit de l’estime de soi, de son image corporelle et donc le problème se pose, brutal, de l’angoisse du regard de l’autre.
Puisque c’est de nous que nous parlons, posons-nous la question de savoir où nous en sommes par rapport au « manque » puisque l’expression humaine de la sexualité n’est pas autre chose que l’expression de notre rapport au manque. Ce manque fonde le désir et toutes nos tentatives de quêtes « amoureuses » ne sont que des tentatives de venir combler ce manque : un amour comblant et une vie sans limites comme fantasmes. Car oui, l’inconscient existe, nous l’avons tous rencontré et il se porte généralement bien.
Nous le rencontrons, comme nous rencontrons le manque dans la rencontre du corps handicapé, incomplet, malade, autant de représentations que notre société, dans ses valeurs, et notre inconscient, dans sa structure, rejettent comme équivalentes de décrépitude, de finitude, de perte, de contagion, de stérilité, de castration, de mort.
Oser en parler, donner du sens, mettre des mots sur la demande, l’entendre auparavant, se donner les moyens d’avancer vers son désir propre et entendre que la relation met en avant la question du manque et qu’elle se joue forcément toujours au minimum à deux, voilà ce qu’il faut garder à l’esprit, sans oublier que sexualité et génitalité ne sont pas la même chose car la sexualité humaine est aussi affaire culturelle et c’est bien là que ça foire, que cela questionne et pose problème, que l’on soit porteur ou porteuse de handicap ou pas ! Chacun se démerde comme il peut, encore faut-il qu’on reconnaisse ce désir et lui laisse la possibilité de s’exprimer. Comme l’écrit Alexandre Jollien dans L’éloge de la faiblesse : « cette démarche exige une confiance absolue en l’homme, mais aussi humilité, une humilité qui permet de garder ses distances, de ne pas juger l’autre, de prendre conscience que l’autre restera toujours un individu irréductible. »
Pour résumer
La sexualité des personnes handicapées pose problème d’abord et avant tout parce que la sexualité humaine en général pose problème. Si pour Freud, selon la formule consacrée et souvent mal interprétée, « tout est sexuel », alors pour les personnes handicapées aussi. Cela ne veut pas dire autre chose que c’est la rencontre de notre propre sexualité et l’apprentissage au contact du corps propre au départ du contact avec le corps de l’autre (le corps maternant) que nous nous constituons en tant que sujets. Sans entrer dans trop de technicité psychanalytique ni dans les méandres de l’inconscient, dire simplement que ces étapes constitutives de notre condition d’êtres –sujets- donc sexués, structurent notre personnalité en même temps que notre rapport à l’autre, à la loi, à la jouissance, aux interdits, à l’angoisse car il définit notre mode de passage par la castration et la Loi. La castration n’est pas autre chose, même si cela suppose bien d’autres choses, que la rencontre avec l’altérité, donc la différence (car la différence est d’abord et avant tout sexuelle) et donc avec l’angoisse du manque, de la perte et du retour vers des phases de développement inacceptables pour le gendarme que tous –ou presque, les pervers me pardonnent, s’ils savent pardonner, nous portons en nous, êtres de culture et civilisés.
La rencontre du handicap, de la personne handicapée comme être sexué, du corps déformé, mort, incontrôlable et incontrôlé, incomplet, nous renvoie donc à la rencontre de l’altérité absolue : de notre part d’ombre en nous ; de ce sur quoi nous aimerions ne plus rien avoir affaire. La personne handicapée montre sa castration à qui veut la voir et même à qui ne veut pas la voir ; de là, les attitudes de rejet ou de surprotection « maladive » (hystérique). Il n’est que de voir les toilettes publiques pour s’en rendre compte : les hommes à droite, les femmes à gauche et les handicapés –tous sexes confondus- quelque part entre les deux ou, mieux, ailleurs, comme « troisième sexe »… Un troisième sexe qui serait une espèce de non-sexe.
Or du sexe il y en a et c’est bien ce que ces courts-métrages et cette table ronde nous montrent... Et c'est bien là que réside tout le "problème" : il n’y a de pire violence que celle de refuser l’humanité à un être humain. En castrant cette population en droit ou en actes, ce n’est pas autre chose qu’on fait et ce n’est pas autre chose que je veux ici, ce soir, dénoncer devant vous.
José Camarena - octobre 2008